L'avis du Conseil scientifique sur la mobilité

Hélène Reigner

 

Professeure des universités en urbanisme et aménagement à Aix-Marseille Université, chercheuse au Laboratoire Interdisciplinaire Environnement et Urbanisme (LIEU). Elle dirige l’Institut d’Urbanisme et d’Aménagement Régional (IUAR).

 

Ses travaux portent sur les politiques publiques territoriales d’aménagement et leur capacité à niveler les inégalités sociales et territoriales

 

Le Sraddet respecte les objectifs de décarbonation et de report modal, mais attention aux pièges

 

Sur la question de la mobilité, les objectifs du Sraddet modifié vous satisfont-ils?

 

Les deux grands objectifs nationaux de décarbonation et de report modal sont repris. Ce constat est positif. Il fait écho aux orientations de la feuille de route thématique « Mieux se déplacer » de la COP régionale qui éloigne le financement de nouveaux projets routiers, même si la prudence reste de mise. En effet, il faut espérer que cette conversion se traduise vite en actes concrets et s’inscrive sur le long terme : aménagement de voies existantes en linéaires réservés aux transports en commun, plus de covoiturage, réduction des surfaces dédiées au stationnement en zones urbaines, baisse des vitesses de circulation réglementaires… La transition mobilitaire nécessite des transformations profondes propices aux modes alternatifs qui permettent d’éviter ou de limiter autant que possible l’usage individuel de l’automobile, en particulier au sein et autour des métropoles et grandes agglomérations de la région. Par exemple, il ne faut pas hésiter à dégrader l’avantage comparatif de l’automobile par rapport aux autres modes de déplacement. L’allongement des temps de parcours (avec la congestion routière) et surtout l’incertitude sur les temps de parcours peuvent inciter un usager à choisir les transports en commun.

 

 

Quel est le piège à éviter ?

 

Les objectifs nationaux sont repris dans cette nouvelle version du SRADDET, mais, sur le report modal, l'histoire nous montre que nous sommes davantage confrontés à un principe d'addition (de déplacements et de modes de déplacement) qu'à un principe de substitution. Sur la question de la décarbonation, et compte tenu du point précédent, cet enjeu ne doit pas faire oublier qu'en matière de transition mobilitaire et de mobilité durable, il est important que les investissements publics n'alimentent pas (trop) la machine à flux rapides et de longues distances. Il y a un enjeu global de maîtrise du niveau des flux. Or, toute nouvelle infrastructure a pour effet de « remettre une pièce dans la machine ». Il faut garder cela en tête.

 

 

Quelles recommandations pour éviter les flux rapides et leur organisation ?

 

Il en existe plusieurs, mais, de manière générale :

 

  • en cas d’investissement public dans des infrastructures, il faut préférer les infrastructures et réseaux qui maillent aux réseaux privilégiant la grande vitesse. De fait, la vitesse démaille les territoires : on va d’un point A à un point C en contournant ou en ne s’arrêtant plus au point B pour gagner du temps. Cette priorité donnée à la vitesse et au gain de temps a eu des effets défavorables pour les petites villes. La mesure de l’utilité publique des projets de grosses infrastructures de circulation gagnerait certainement à se défaire, aujourd’hui, de cette forte valeur donnée au gain de temps. La vitesse et le gain de temps des infrastructures en réseau ont des effets inégalitaires sur les territoires et leurs habitants, ce qui n’est pas tenable ;

 

  • il y a fort heureusement une vie en dehors des investissements dans les nouvelles infrastructures de transport ! Citons la gestion, la coordination, l'amélioration des cadences et des fréquences, la promotion de nouveaux usages sur les réseaux existants, par exemple. Tout ce qui relève davantage de la gestion un peu fine des réseaux de circulation, qu'ils soient routiers et ferrés, est décisif : les réseaux de circulation, comme le reste, doivent entrer en renouvellement du fonctionnement des infrastructures existantes ;

 

  • les sujets logistiques montrent toute la complexité et l'ambivalence de nos sociétés qui carburent aux flux à grande échelle, mais qui souhaitent faire leur transition écologique. Alors, on dit qu'on va décarboner pour résoudre l'équation. Il faut dépasser cette logique en ayant une vision plus intégrative.